Devant le drame des migrants, refuser le silence
Face
au drame des migrants, à quoi bon crier dans le désert ?, demande la pasteure Anne-Sophie Hahn
Vendredi
27 janvier, à l’appel de l’association « La Vie Nouvelle », des voix se sont
élevées face au
drame
des migrants qui meurent en Méditerranée. Plusieurs personnalités ont partagé
leur prise de
position
: responsables religieux, théologiens et universitaires (Marion Muller-Colard,
François-
Xavier
Cuche), acteurs de la vie politique et civile (Nicolas Hulot, Roland Ries,
Geneviève Jacques,
Georges
Federmann), artistes, ont souhaité s’associer à cette initiative. Des comédiens
ont prêté
leur
voix, ce soir-là, pour faire retentir tous ces cris. Angela Merkel elle-même a
adressé un mot de
soutien.
Sur
leur blog (lecridestrasbourg.blogspot.fr), l’événement était annoncé comme suit : « Le drame
des
migrants, morts et abandonnés en Méditerranée, pourrait être la situation la
plus inhumaine de
notre
siècle, la barbarie du XXIe siècle ! Et pourtant, le silence est assourdissant…
Nous
souhaiterions
que, depuis Strasbourg, capitale de l’Europe démocratique, des appels fusent,
des voix
clament
ce drame, crient le refus du silence. » Pour reprendre la veine évangélique,
que des voix
crient
dans le désert, en somme…
Une
telle initiative pourrait sembler dérisoire, et futile, face à l’insoutenable
réalité. Car que sont
quelques
mots, dits, écrits, face aux dizaines de milliers de désespérés qui se noient
sur les rives de
notre
continent dans l’indifférence générale ?
À
quoi peut bien servir de crier dans le désert ?
Citoyens et prophètes
D’autres
l’ont fait, il y a bien longtemps, sans se poser la question de l’utilité de
leur cri. C’était
quelque
chose de bien plus grand qu’eux. Ils ne pouvaient pas ne pas crier. Ils avaient
une parole à
dire,
à faire entendre.
Aujourd’hui,
des citoyens se font prophètes, et ressentent cette même nécessité de ne plus
se taire.
Dans
les évangiles, « crier dans le désert » ne signifie pas nécessairement hurler
sans que personne
n’entende.
Le désert, c’est aussi celui du silence, de l’indifférence.
Face
à ces murs symboliques, mais aussi face à tous les murs bien réels qui
s’élèvent entre les
humains,
il faut bien que des voix s’élèvent. Il faut bien que les « puissants »
entendent les voix des
«
misérables ».
Car
sinon, l’humanité prend le risque de s’accoutumer à l’horreur et à la violence.
Et que dironsnous,
un
jour, aux générations qui s’interrogeront et, peut-être, nous interpelleront
sur cette
tragédie
faite de guerre, de fuite désespérée, d’appels au secours, de noyades, de
portes fermées,
d’asile
refusé ?
Face
aux discours qui parlent de danger et de menace, de sécurité et de protection,
de préférence
nationale
et de suspicion des étrangers, il est nécessaire que des voix s’élèvent pour
crier «
humanité
» et « accueil ».
Si
autrefois, la parole des prophètes s’adressait aux exilés, aujourd’hui le cri
prophétique s’adresse
aux
dirigeants et à tous les citoyens de nos pays occidentaux.
Pour
interpeller, sans relâche. Jusqu’à ce que des barrières et des murs tombent,
enfin.
Mais
ce n’est pas là sa seule fonction et sa seule utilité. Le cri prophétique
permet aussi de
rassembler
en une communauté visible et solidaire toutes celles et tous ceux qui s’y
rallient, et qui
croyaient
être seuls à s’indigner. Et, ce faisant, il est aussi source d’espérance.
Nous
sommes démunis, mais nous ne sommes pas seuls. Et nous ne sommes pas si peu nombreux
que
nous le craignons. Il est bon de nous en souvenir, ou de le réaliser. Il est
bon de sentir la chaleur
humaine,
la solidarité, la fraternité derrière ce cri.
Alors
oui, que des voix s’élèvent. Qu’elles soient bientôt rejointes par de
nombreuses autres voix,
pour
faire retentir le cri assourdissant de l’humanité qui refuse de se séparer
d’une partie d’ellemême.