dimanche 12 février 2017

Pierre Greib


Méditerranée, frontière et tombeau
La Méditerranée, un espace qui nous appartient à tous (le Mare nostrum des Romains) car tous peuvent y trouver des références à ce que nous sommes aujourd’hui, nous sommes tous, chacun à sa manière, des héritiers de la Méditerranée.
Espace de contacts, d’échanges, de commerce, de tourisme, de circulation d’hommes , de richesses et d’idées, elle a aussi été l’espace des galères et elle a été, elle est frontière, : frontière entre continents, frontière entre métropoles et colonies, puis frontière entre Nord et Sud, riches et pauvres….frontière entre démocraties et dictatures, frontière entre terre d’islam et occident….frontière entre Eux et Nous ?
Frontière mais aussi fosse commune, linceul pour d’innombrables morts et disparus (la banderole et ses 17000 noms) En référence à Homère, et aux héros de la guerre de Troie, François Hartog écrit : « A coté de cette mort héroïque, au premier rang des combattants, la mort en mer est complète épouvante, car l’homme perd tout sans la moindre contrepartie : la vie, le retour, mais aussi son renom et jusqu’à son nom. Plus grave encore, il a beau avoir perdu la vie, il n’est pas véritablement mort. Car aussi longtemps qu’il n’a pas reçu les honneurs funèbres, son ombre erre « vainement devant la demeure d’Hadès aux larges portes »sans pouvoir en franchir le seuil.(F.Hartog, Mémoire d’Ulysse, récits sur la frontière en Grèce ancienne, 1996,p.41)

Qui est responsable et pourquoi sont-ils morts ?

Bernard Guetta il y a quelques jours sur Fance inter :

« Ils meurent car des dictatures sanguinaires ou la folie meurtrière de Daesh ne leur laissent pas d’autre choix qu’une fuite éperdue. Ils meurent parce que des passeurs dont le cynisme passe l’entendement les entassent à prix d’or sur des canots que renverse le premier souffle de vent. Ils meurent, c’est le pire, parce que nous avons si peur d’eux que nous préférons encore les voir mourir en mer qu’organiser leur accueil.

Ils fuient tout ce que nous condamnons, dictatures et fanatisme religieux. Ils voient en nous un havre de paix et de droit, ce summum de civilisation dont nous nous réclamons si fièrement, mais nous avons peur d’eux, comme s’ils étaient ce qu’ils fuient et non pas des frères humains aspirant aux mêmes valeurs que celles que nous prônons et incarnons à leurs yeux. »


Méditerranée frontière et Méditerranée tombeau, mais Méditérranée espace de solidarités actives aussi , au nom des droits fondamentaux .

Je termine par ce texte du romancier Hennning Mankell récemment disparu qui, dans son roman publié en 2007, Tea Bag , raconte les pérégrinations d’une jeune Nigériane qui a rejoint la Suède :

« Je ne sais pas pourquoi j’ai survécu, moi précisément, quand le bateau a coulé et que les gens enfermés dans le noir essayaient de sortir de la cale avec leurs ongles. Mais je sais que le pont que nous avons tous cru voir, sur cette plage tout au nord de l’Afrique, ce continent que nous fuyions et que nous regrettions déjà, ce pont sera construit un jour. Un jour, la montagne des corps entassés au fond de la mer s’élèvera si haut que le sommet émergera hors des vagues comme une nouvelle terre, et ce pont de crânes et de tibias fera le lien entre les continents, un lien qu’aucun garde-côte, aucun chien, aucun marin ivre, aucun passeur ne pourra détruire. Alors seulement cette folie cruelle cessera, cette folie où des gens innombrables qui fuient pour leur vie sont contraints de s’enterrer dans des sous-sols et d’être les hommes des cavernes de l’ère nouvelle »
Pierre Greib