dimanche 11 décembre 2016

Élisabeth Trouche


Ils étaient des milliers…


Leïla Ahmed Tarik et les autres. Mêmes silhouettes titubantes, mêmes visages torturés, mêmes habits de misère. Depuis quand dérivent-ils dans l'embarcation de fortune qui peine et tangue dans l'effort de les contenir tous ?

Les craquements de la coque et les appels au secours se confondent dans le hurlement de la houle.
Dans un cercle de lumière -une lampe à pétrole, sa flamme vacille, prête à renoncer- quelques-uns qui vivent encore chuchotent. Vite, vite, dire encore, avant de se taire à jamais.
La mer, sourde à leurs prières, rugit.

Magma de corps en fond de cale. Parmi eux, Ahmed ? Tarik ? Et cette femme piétinée, est-ce Leïla ?

Etreints par l'horreur ils ne voient plus rien, même pas la lune -ou le soleil ? - au-dessus d'eux.

Les vagues enflent.
Vont les engloutir.

Au loin, mirage sur le sable, le sourire d'une mère, ses appels, il est temps de cesser de jouer, reviens reviens sur le rivage l

Tout s'efface maintenant.
L’embarcation secouée sens dessus dessous ne résiste plus. Encore quelques minutes et il ne restera plus rien de Leïla, Ahmed, Tarik. Tout à l’heure ils ne seront plus que des chiffres approximatifs dans la voix d’un journaliste -encore un naufrage en Méditerranée.

Bientôt, cet été peut-être, la mer vomira sur une plage des restes de corps. Un tatouage, ou un bracelet, crieront qu’ils s’appelaient Leïla, Ahmed, Tarik.

Besançon , le 4 XII 2016