Bienvenue chez nous, tu y seras chez toi
Je
ne sais pas qui tu es, ni d’où tu viens. Je ne sais pas ce que tu fuis :
la guerre ? La faim ? La torture ? Le souci des tiens confrontés
à l’extrême pauvreté ? Je sais que forcément ce fut pour toi un
déchirement absolu de quitter ta famille, ta maison, ton métier. Pour venir
chez nous, tu as affronté la cupidité des passeurs, les mers, le froid, la rue.
Le
25 août …, il pleuvait terriblement sur Calais. Je t’ai aperçu dans le
« jungle ». Instantanément tu es devenu, au creux de mon ventre, non
plus « la crise migratoire » mais une personne. J’ai eu très mal de
ta souffrance si visible, si honteuse.
Certains
Français chez nous trouvent que ta place est là-bas sur les champs de bataille
ou dans les bidonvilles. Plus triste encore, des Français ont oublié que
certains des nôtres, comme toi, ont dû quitter notre pays pour échapper aux
trains de la mort avant d’être accueillis par des Justes, dans des pays qui
leur ont ouvert les bras. Sache que ces Français-là ne reflètent pas l’âme de
la France.
Ici
sur notre pays de Retz, terre de modération et d’humanité, des collectifs
généreux sont nés pour t’accueillir, toi et les tiens. Dans nos communes, des
élus se sont engagés depuis le premier jour et le représentant de l’Etat a pris
sa juste part, avec le concours d’une association expérimentée, pour t’offrir à
St-Brévin-les-Pins, un lieu de repos et pour t’accompagner dans tes démarches
et ta reconstruction personnelle. Ces engagements divers sont cet autre visage
de la France.
Pour
répondre à la haine qui a pu se manifester, sans naïveté je veux te redire, à
toi et aux tiens, que nous n’avons pas peur de vous. Vous êtes nos amis, nos
frères, nos pères, des êtres humains, avec vos faiblesses et vos forces.
Entendre que les migrants seraient forcément des criminels me fait horreur. Je
voudrais au contraire vous aider à retrouver votre dignité bafouée sur les mers
et dans les broussailles de Calais. A toi, migrant inconnu, je souhaite la
bienvenue. Je serai heureuse de te rencontrer, de t’entendre, de partager. La
fraternité créée t’aidera, je l’espère, à surmonter les obstacles qui
subsistent. Car bientôt tu recevras les papiers actant la régularité de ta
présence parmi nous. A ce moment précis tu seras sans doute très heureux. Mais
ton combat ne sera pas achevé : les tiens seront encore exposés à
l’extrême pauvreté, à la mort peut-être. Tu voudras travailler dur pour les
aider. Tu vivras alors douloureusement le manque de reconnaissance car tes
diplômes n’auront aucune valeur aux yeux de ceux qui devront reconnaître tes
compétences professionnelles. Il te faudra peut-être accepter des petits
boulots pour survivre. Dans la fatigue et la solitude, tu perdra parfois ton
esprit combatif. Tu liras alors dans les yeux, au pire l’ignorance et le
mépris, au mieux la pitié.
Trop
souvent ces questions sont abordées de manière unilatérale comme si seul
l’étranger avait besoin de nous. Mais moi je veux que tu saches combien nous
avons besoin de toi. La relation humaine, vraie, ne se construit que dans
l’échange. Dans ce monde occidental, qui abandonne progressivement sa
philosophie des droits de l’Homme au profit de biens plus matériels, et qui
préfère la circulation des biens et des capitaux à celle des personnes
étrangères, nous avons besoin de toi. Tu peux nous aider à un sursaut
salutaire.
C’est par les actions que nous mènerons
chacun de notre côté et c’est dans l’amour de l’être humain que nous
retrouverons toi et moi, toi et le peuple de France, notre dignité. Pour tout
ce monde à renaître je te remercie.
Monique
Babin
Députée de Loire-Atlantique
(Bulletin de
Chrétiens en Forum, novembre 2016)