dimanche 22 janvier 2017

Arletta Michalska-Thomas

Moi, aussi, j’aurais pu être dans un bateau qui coule

Il y a plusieurs années, ce n’est pas si loin, pour sortir d’une Pologne communiste, j’ai pris la route vers l’ouest. J’étais jeune étudiante et j’avais besoin d’aller voir et de respirer l’air libre. Il se trouve que dans ma direction on pouvait voyager sur la terre ferme, alors je n’étais pas contrainte à prendre un bateau. Aller / retour « en stop », avec un tampon de visa dans le passeport grâce à une l'invitation d'une personne que je ne connaissais même pas, avec seulement 10 dollars en poche (la somme maximale que le gouvernement polonais permettait d’emporter), des livres d’arts – à revendre – afin de pouvoir disposer d’un peu d’argent pour vivre. Je ne fuyais pas, je voulais aller voir et revenir. Et je l’ai fait.
J’aurais pu, moi aussi me trouver dans un bateau qui coule. Mais « mon bateau » n’a pas coulé. Non seulement parce qu’il n’y avait pas de naufrage ni d’eau sous mes pieds, mais surtout grâce à l’accueil de ceux qui m’ont vu marcher au bord de la route : chargée, fatiguée mais déterminée. J’avais besoin d’aller voir. C’était vital pour moi.

Quoi qu'étudiante en théologie je ne rêvais pas d’un paradis ni d’une terre promise à portée de main, mais je partais pour comprendre le monde d’ici bas, j’avais besoin de vérifier : comment vivent les gens de l’autre côté du mur ? l’histoire du monde porte-t-elle les mêmes traits des deux côtés ? raconte-t-on la même chose aux enfants d’ici et d'ailleurs ? dans ce monde injustement découpé, l’humanité se ressemble-t-elle encore ? et le Dieu, imploré d'ici et de là- bas – aurait-il la même voix et le même visage ?

Arrivée au petit matin, dans un premier village en Allemagne de l‘ouest, je suis surprise du soleil qui se lève avec des couleurs de la vie – libre - de tous les jours. Comment est-ce possible qu’un bout de mur puisse retrancher toute une gamme de couleurs en laissant la base (noir et blanc, puis gris) d’un côté et toutes les nuances de l’autre ? Le paradis des couleurs pour les uns et l’obscurité de la grisaille pour les autres ? Je me suis alors sentie d’abord profondément trahie par la grisaille de mon enfance polonaise, puis j’ai accueilli la nouvelle luminosité. Qu'est ce que cela fait grandir !

Je sais maintenant que ma curiosité de l’autre-différent vient de ce besoin d’aller voir, de rencontrer, de connaître, d'accueillir. « Mon bateau »n’a pas coulé et moi, je me suis redressée. Je me suis trouvée debout, je respirais à plain-poumons. Une chance inouïe!

Aujourd’hui, dans notre monde qui, dans de multiples endroits, souffre de la grisaille et même d’un noir menaçant, où le mensonge et la confusion visent à séparer les uns des autres, à les mettre les uns contre les autres, où les gens ont souvent peur et cherchent à se protéger au lieu de s’ouvrir à la richesse de l’autre-différent, voici mon cri :

Jamais, plus jamais ne construisons des murs pour nous séparer. Mais en revanche transformant les murs existants, en ponts ! Favorisons la rencontre qui apportera des couleurs à la vie de nous tous !
Arletta Michalska-Thomas, Pastorale des Migrants du Diocèse d’Alsace