Où vont-ils donc ces bateaux
soûls, ces barques ivres, ces coques lourdes, où vont-ils donc ces hommes bruns
dans la nuit sans lumière ?
Ils s’en vont !
Ils s’en vont des là-bas où
l’école est de cendre, l’hôpital à genoux et le poète aphone
Ils marchent au jour la nuit
en lumières éteintes, avec au bout du bout un toit de réconfort
Ils ont des nuits d’étoiles,
parfois des nuits de toiles, des soleils arrangeants et parfois outrageants,
des couches de pierres sèches ou de coton humide, des chaussures sans lacets, des
routes sans virgule
Ils s’en vont des là-bas où
les cris sont trop forts, les marchés sans marchands, si ce n’est le calibre ou
la poudre à foison
Ils s’en vont et ils vont
avec au bout du quai, au bout de la marée, le bout d’un bout sans but
Nous sommes tous des s’en
vont,
Depuis la nuit des temps, nous
sommes en mouvement, alors nous traversons,
Nos terres étaient reliées,
nos continents un seul
Nos pas dans la poussière ou
sur les glaces complices, alors nous traversions, alors nous migrions
Nous étions à pied sec en de
futurs détroits ou sur des terres gelées devenues accueillantes, alors nous
traversions, alors nous avancions,
Nos horizons barrés l’étaient
de cols hostiles et non de grilles hautes
Nos chemins empruntés
répondaient au relief et nos papiers de routes à vingt mille ans devant
La terre était ouverte et les
contrées de glace attendaient dans le froid la venue des s’en vont.
Les terres se sont fermées,
l’Europe les pieds au chaud et les yeux embrumés a mis des lunettes noires et
se voit en miroir, des œillères de cuir sombre pour ne pas voir l’espoir.
Depuis la nuit des temps,
nous sommes tous en mouvement, notre histoire commune est celle du déplacement,
avec ou sans papiers il nous faut avancer,
Sans papier d’Arménie, sans papyrus
d’Égypte, sans papiers d’Érythrée et même sans l’alibi, sans papiers de Syrie en
chemin de Damas, avec ou sans papiers il nous faut avancer, avec ou sans papiers,
avec ou sans papiers…