dimanche 22 janvier 2017

Catherine Wihtol de Wenden

Citoyenneté et migrations

Les années récentes ont donné lieu à un retour aux valeurs fondamentales de la citoyenneté.

De même, la fraternité, souvent oubliée de la trilogie inscrite sur les frontons des bâtiments publics est interrogée en permanence à propos des discriminations. Dans le même temps, l’extrême droite continue à insinuer que certains Français ne sont pas aussi français que d’autres : Français « malgré eux », Français « de papier », selon les termes du Club de l’Horloge dès 1985, développant un racisme différentialiste autour des « vrais Français » issus des terroirs marqués par l’homogénéité ethnique (fictive) et par les menaces pour l’identité française.
La question de l’islam a continué de creuser ce sillon de racisme différentialiste. Ce questionnement sur l’Islam a redonné l’occasion d’interroger la citoyenneté sur une autre de ses valeurs, la laïcité, non sans confusion d’ailleurs, les défenseurs de la laïcité tendant parfois la main sans toujours le savoir aux tendances anti-immigration qui s’abritent derrière la laïcité pour exprimer leurs sentiments xénophobes ou islamophobes.

L’Europe a beaucoup contribué à enrichir la citoyenneté de valeurs nouvelles et à faire acquérir de nouveaux droits aux citoyens nationaux. La citoyenneté européenne, issue du traité de Maastricht en 1992 a marqué une étape nouvelle dans l’évolution de la citoyenneté nationale, sur le terrain notamment de l’immigration. Par la reconnaissance du droit de vote et de l’éligibilité locale aux Européens non nationaux, elle a dissocié le tandem de la citoyenneté et de la nationalité, considéré comme indépassable par de nombreux juristes et politiciens avant 1992. Tous les Etats européens ont alors dû modifier leur Constitution pour avaliser la dissociation de la nationalité d’avec la citoyenneté, ce qui constitue une avancée également pour les droits politiques des non Européens. Avec leur entrée dans l’Union européenne mais aussi suite à des démarches individuelles des Etats européens, 15 d’entre eux sur 28 ont reconnu le droit de vote avec ou sans l’éligibilité locale aux étrangers non Européens. En France, le débat reste en suspens depuis plus de trente ans. Une autre avancée de la citoyenneté européenne sur la citoyenneté nationale en lien avec la question migratoire est la reconnaissance de la diversité comme valeur citoyenne. En 2008 l’Union européenne a célébré l’Europe de la diversité culturelle, interne et entre les Etats comme thème annuel. Aujourd’hui, la diversité fait partie des valeurs de la citoyenneté. L’Europe introduit aussi, en filigrane, la notion de solidarité entre les Etats de l’Union, même si dans son application les Etats européens se sont illustrés récemment par une crise de solidarité à l’égard de la Grèce et de l’Italie face à l’afflux des demandeurs d’asile et ont manifesté leur réticence à se partager les quotas proposés par la Commission européenne en juin et juillet 2015 (on est passé de 40 000 à 32 000 demandeurs à accueillir).

La mondialisation est aussi, à terme, un instrument de remise en cause de la citoyenneté nationale quant à ses valeurs car elle en introduit de nouvelles : celle de la solidarité, encore. Les Etats de l’Union et l’Union européenne elle-même sont ainsi très frileux à accepter les propositions des Forums mondiaux sur les migrations et le développement issus de la proposition de Kofi Annan, en 2004, de mettre en oeuvre une gouvernance mondiale des migrations ayant pour objectif une approche multilatérale de l’élargissement du droit à la mobilité comme droit de l’homme du XXIème siècle. Ils se rangent du côté des puissants, ceux qui édictent les règles et répugnent à alléger le régime des visas pour l’entrée dans l’Union. Dans un climat de montée des souverainismes où la fermeture des frontières nationales fait figure de programme politique, ils se montrent très frileux à entr’ouvrir les frontières extérieures de l’Europe et préfèrent traiter la question migratoire dans une approche sécuritaire. Enfin, l’approche mondiale amène à réfléchir sur la citoyenneté à une autre échelle : celle du droit de migrer du citoyen du monde, un monde où les sédentaires ont beaucoup plus de droits que ceux qui circulent, un monde où les sans papiers se comptent par millions, notamment aux Etats-Unis, en Europe, et dans les pays du sud devenus parfois pays de transit, un monde où les déplacés environnementaux, estimés à 150 à 200 millions à la fin de ce siècle n’ont aucune reconnaissance de statut car ils se sont pas éligibles au statut de réfugié de la Convention de Genève, qui place au centre de ses critères la persécution individuelle ou la crainte fondée de celle-ci. Tous ces droits font partie de la citoyenneté moderne, celle du XXIème siècle, mais ils paraissent encore utopiques par rapport à la citoyenneté-nationalité classique, celle du national-citoyen. Enfin, la mondialisation conduit à prendre mieux en compte la question des migrations en lui donnant plus de légitimité que l’Etat-nation que celle-ci dérange, car elle vient introduire le désordre de populations traversant ses frontières et changeant la donne du vivre ensemble : les migrations n’ont été à l’ordre du jour ni du G8 ni des OMD et de ODD, aucune conférence mondiale onusienne n’a eu lieu sur les migrations. Le dialogue de Haut Niveau créée par Kofi Annan en 2006, puis repris en 2013, progresse lentement.

Si la citoyenneté a imposé des valeurs à respecter sous la forme de reconnaissance de nouveaux droits aux migrants au nom de l’égalité des droits, les migrations ont, de leur côté, contribué à élargir la citoyenneté classique en y introduisant des valeurs nouvelles comme celles de la diversité, de la lutte contre les discriminations et du droit à la mobilité comme droit de l’homme et comme bien public mondial pour le XXIème siècle. Bien souvent les migrants et ceux qui en sont issus sont exclus de formes diverses de citoyenneté, au nom de l’ethnicisation de leurs modes de vie et de la religion, alors que l’essentiel de ces différences reposent sur une fracture sociale : on ethnicise ainsi la question sociale et on culturalise des pratiques de mise à l’écart. Dans un monde où les migrants continuent à croître en nombre avec une diversification accrue de leurs profils, du Sud au Nord, du Nord au Sud, du Sud au Sud et du Nord au Nord, il est temps de prendre en compte les aspirations générales qu’ils portent pour plus de vivre ensemble, donc de citoyenneté.