Dans son roman «
Eldorado » Laurent Gaudé « fait résonner la voix de ceux qui, au
prix de leurs illusions , leur identité et parfois leur vie, osent se mettre en
chemin pour traverser la Méditerranée »
Ainsi, il met en scène , dans le même temps un commandant
chargé d' intercepter les embarcations des émigrés clandestins et un jeune soudanais qui a décidé d' entreprendre le dangereux voyage
qui doit le conduire vers le continent de ses rêves , l' Eldorado
européen »
En voici 3 extraits :
Tout d' abord les
réflexions de Soleiman à la veille de partir :
« Je contemple mon frère qui regarde la place. Le
soleil se couche doucement.J' ai 25 ans.Le reste de ma vie va se dérouler dans
un lieu dont je ne sais rien,que je ne connais pas et que je ne choisirai peut-
être même pas .
Nous allons laisser derrière nous la tombe de nos ancêtres
.Nous allons laisser notre nom, ce beau nom qui fait que nous sommes ici des
gens que l' on respecte.Parce que le quartier connaît l' histoire de notre
famille.Il est encore ,dans les rues d' ici,des vieillards qui connurent nos
grands parents.Nous laisserons ce nom ici, accroché aux branches des arbres
comme un vêtement d' enfant abandonné que personne ne vient réclamer. Là où
nous irons,nous ne serons rien.des pauvres.Sans histoire.Sans argent.
Puis,celles du Commandant, Salvatore Piracci :
« Les Albanais avaient fait place aux Kurdes, aux
Africains, aux Afghans.Le nombre des clandestins n' avait cessé d' augmenter,
mais c' était toujours les mêmes nuits passées à l' écoute des vagues,
traversées, parfois, par les cris d' un désespéré qui hurle vers le ciel du
fond de sa barque.Toujours les mêmes projecteurs braqués sur les ondes à la
recherche d'embarcations.Toujours ces foules hagardes de fatigue qui n' ont ni
joie ni terreur lorsqu' on les intercepte.Des hommes sans sac.Ni argent.Au
regard grand ouvert sur la nuit et qui ont soif,au plus profond d' eux mêmes,
de terre ferme.Toujours des cadavres aussi.Ceux qui se sont perdus trop
longtemps et qui, faute de vivres ou faute de force pour continuer à ramer,
gisent à fond de barque,les yeux ouverts sur le vent qui les a perdus.Ou ceux
noyés par les flots parce que leur embarcation s' est renversée et qu' ils ne
savaient pas nager,qui s' échouent après des jours de ballottements dans les
vagues, sur les plages de Lampedusa ou d' ailleurs, au milieu des
vacanciers. »
Enfin,l' échange avec un inconnu :
« L'Eldorado,commandant. ils l' avaient au fond des
yeux.Ils l' ont voulu jusqu' à ce que leur embarcation se retourne,En cela ils
ont été plus riches que vous et moi.Nous avons le fond de l' œil sec, nous
autres, Et nos vies sont lentes.
Ces hommes là avaient été assoiffés .Ils avaient connu la
richesse de ceux qui ne renoncent pas.Qui rêvent toujours plus loin. »