dimanche 15 janvier 2017

Nicolas Hulot

« Avec les migrants, où est passée notre humanité ? »

Notre indifférence nourrit la haine que les peuples voueront à une Europe où les droits de l’homme ne sont plus qu’une déclaration.
L’inexorable exode des damnés de la terre qui fuient l’Afrique, ses conflits et la désertification. Derrière les chiffres qui effraient et qui effacent les hommes et leurs souffrances, peut-on mettre des visages et des histoires ? Peut-on surtout réaliser que cela pourrait être chacun d’entre nous si le hasard de la loterie génétique et géographique ne nous avait pas fait naître du bon côté de la barrière ?
Le pire n’est pas dans l’incapacité de l’Europe à faire face à cette tragédie ordinaire, mais dans l’absence de l’expression d’une simple volonté. Pas la moindre organisation humanitaire digne de ce nom face à des horreurs annoncées et si prévisibles. L’Europe démontre, si besoin était, sa faiblesse politique et le peu de cas que nous faisons de nos valeurs.
La France, jadis patrie des droits de l’homme, n’est-elle devenue que le pays de la Déclaration des droits de l’homme ? La classe politique tout entière s’est peu exprimée sur le sort de ces familles. Il n’a été question que de « tri » entre les migrants économiques et les réfugiés. On a juste invoqué le ­contrôle aux frontières et agité le ­spectre de « l’appel d’air ».
L’histoire témoigne de situations où l’Europe et la France ont su gérer l’accueil de déplacés très nombreux sans provoquer de chaos. Je pense notamment aux conséquences de la guerre au Vietnam (en 1979, au moment de la crise des boat people, nous avons accueilli 150 000 personnes) ou de l’indépendance algérienne.
Et nous mégotons sur des quotas sordides, la France peinant à proposer d’accueillir 30 000 réfugiés dans les deux années qui viennent. Cette arithmétique glaciale est juste un déni de réalité. Toutes les barrières du monde ne pourront endiguer cette vague de détresse. Il en est du désespoir comme de l’eau : rien ne l’arrête, elle finit toujours par trouver son chemin.
Mettons-nous une seconde dans la peau de ces pauvres damnés qui ont fui la barbarie et la mort, ont rejoint l’Europe ou ses frontières au terme d’une odyssée inhumaine pour échouer ici ou là dans un nouvel enfer, parqués comme des pestiférés.
J’ai conscience qu’on ne répond pas aux crises avec de bons sentiments. Plus encore, j’ai conscience de l’extrême complexité, de la gravité de la situation et d’être incapable d’esquisser un scénario de résolution. Mais peut-on distinguer dans cet entrelacs ce qui procède du traitement au long terme, notamment la fin du conflit syrien, et de la misère en Afrique, de l’urgence humanitaire pure, et s’y concentrer prioritairement ?
Juste pour dire qu’heureusement, dans l’ombre et sans soif de reconnaissance, il y a une belle citoyenneté qui agit, des héros invisibles. Notons la magnifique initiative civile et européenne de l’ONG SOS Méditerranée – associée à Médecins du monde – qui, avec son bateau Aquarius, est la seule à assurer une veille permanente en haute mer pour secourir les naufragés. C’est en creux une honte pour l’Europe… Comment 28 Etats n’ont-ils pas été capables de réunir une flotte humanitaire pour sauver des vies que l’on sait à l’avance en péril ? On peut et on doit encore le faire.