Rassurez-vous, vous
êtes irremplaçables !
Soyez-en certains et vous n’aurez plus peur que quiconque
prenne votre place. Vous la tenez, elle n’est pas à prendre, vous y avez
installé vos souvenirs-vos amours-vos récits- votre imagination-vos
projets-votre identité, personne d’autre que vous ne s’y trouverait chez soi,
rassurez-vous ! Personne ne songe à vous déloger.
Oui, palpez-vous, sondez-vous, regardez-vous bien. Il ne
tient qu’à vous de ne pas être diluable, de ne pas fuir par tous vos pores, de
tenir si bien en vous-mêmes que l’autre ne vous menace pas. Touchez-le et voyez
comme sa peau ne colle pas à la vôtre, comme chacun reste lui-même, comme un
corps ne fond pas dans la présence d’un autre, aucune loi physique n’autorise
cela, rassurez-vous ! L’autre n’est pas un bain d’acide, il vient aussi avec un
corps qui connaît ses limites, se soumet comme le vôtre à la loi de naître et à
la loi de mourir.
Pensez-y : la mort égalisera tout cela, magistralement. Si
“liberté-égalité-fraternité”, cette trinité de notre humanité, dégouline des
frontons de nos institutions, nous les retrouverons sur nos pierres tombales -
pas le choix. Et redevenus poussière, nous aurons encore une descendance pour
dire que là fut notre terre, notre amour, notre colère et que nous fûmes, oui,
irremplaçables.
Vous voilà rassurés ? Bien. Alors maintenant, rassurez-les :
eux, si déracinés qu’ils sont menacés de ne pas même connaître le repos d’une
tombe, la mémoire d’une stèle. Eux qui n’ont plus de demeure que ce corps dont
ils veulent frénétiquement sauver la peau. Eux dont les enfants pourront dire
aux nôtres si nous avons eu peur ou si nous avons aimé. Rassurez-les et
dites-leur : “Vous êtes irremplaçables”.
Marion Muller-Collard
Théologienne protestante et Ecrivain